Strophes pour se souvenir : qu'a voulu exprimer Aragon ?
Le texte "Strophes pour se souvenir", de Louis Aragon est un poème du recueil "Roman inachevé" sorti en 1956. Ce recueil retrace des événements importants de la vie du poète : ses amours, ses engagements politiques, et la nécessité de se souvenir de ceux qui se sont battus pour une bonne cause, comme dans ce poème.
Se rappeler une période sombre
On ne peut lire et comprendre ce poème sans avoir en tête le contexte historique : la Seconde Guerre mondiale et en particulier l’exécution des 23 membres du groupe de francs-tireurs partisans, dirigé par Michel Manouchian. Les indications "Partisans", "Ils étaient vingt et trois" ancrent le texte dans une réalité bien précise. L'exécution ce ces résistants avait été annoncée par ce qu'on appelle "l'Affiche Rouge", affiche de propagande nazie où on présentait les portraits peu flatteurs, en noir et blanc, d'hommes désignés comme des terroristes. On insistait évidemment sur leur nom à consonance étrangère. C'est de cette affiche dont parle explicitement Aragon lorsqu'il évoque "Vos portraits sur les murs" et "L'affiche qui semblait une tâche de sang". L'auteur dénonce clairement cette image et sa composition cherchant à intimider et terrifier les passants. Dans la troisième strophe, le poète évoque l'attitude des Français sous l'occupation : la plupart ne voulaient pas voir, restant aveugles pour éviter les ennuis. D'autres, en revanche, faisaient acte de résistance et de solidarité en déchirant la nuit, les affiches mensongères.
Un message d'espoir
Ces sept strophes, de même longueur, en alexandrins sont évidemment un appel au devoir de mémoire envers le sacrifice des résistants. Les nazis présentaient sur l'affiche rouge des visages étrangers, effrayants, "noirs", hirsutes. Aragon, dans les première et dernière strophes, énonce le vrai visage des partisans : celle d'un groupe qui s'est sacrifié avec bravoure, sans volonté de gloire ou de récompense, simplement pour un mouvement qu'ils pensaient juste, pour la liberté et la vie. Ce qu'Aragon veut exprimer ici, est que le sentiment que l'on doit avoir pour ces personnes, qu'on désignait comme étrangères et qui se sont battues pour la France, est celui de l'admiration et non de la méfiance et de la peur. Un deuxième aspect apparaît dans ce poème. En effet, deux narrateurs prennent tour à tour la parole : le poète engagé, bien sûr, et l'un des partisans dont il adapte la dernière lettre : Manouchian, lui-même, qui ne veut se souvenir que des jolies choses. Dans un registre pathétique, Aragon veut révéler le message d'espoir d'un condamné à mort, qui ne reflète que générosité envers l'ennemi et amour pour sa femme à qui il demande de vivre pleinement.