Critique de Ce qu'il faut pour vivre de Benoît Pilon (2008)
Le réalisateur dément en quelque sorte le célèbre adage de Racine selon lequel l'éloignement des pays répare la trop grande proximité des temps, en organisant la rencontre de deux cultures voisines et totalement opposées. La réalisation sobre et efficace, portée par des acteurs justes et poignants, démontrent toute l'expérience et la maturité de Benoît Pilon.
Au début des années 50, l'Inuit Tivii est contraint de quitter sa famille et sa terre natale de Baffin pour faire soigner sa tuberculose dans un sanatorium au Québec. Des grands espaces ouverts de la terre de Baffin, le spectateur est vite cloisonné en même temps que le protagoniste Tivii dans un sanatorium. L’ivresse des plans larges laisse place à l’étouffement des plans moyens et plus rapprochés. C’est avant tout ce contraste, cette déterritorialisation que l'on retiendra du film de Benoît Pilon, Ce qu’il faut pour vivre. Le décor va influencer le personnage qui, contraint de rester dans le sanatorium, ferme son corps et son esprit à tout contact extérieur. Cela est flagrant quand l’infirmière Carole tente de le faire manger de force. Parallèlement, chaque fois que Tivii "se ferme", il plonge dans ses souvenirs, rêve de liberté et de grands espaces enneigés. Les couleurs jouent donc un rôle important, opposant le froid de la toundra, paradoxalement synonyme de bien-être et de vitalité, à la chaleur du sanatorium, qui lui, au contraire, respire la maladie et la mort. Ce choc entre deux cultures ne pouvait finir que tragiquement si un intermédiaire n’intervenait pas. Le choix de l’enfant inuit Kaki, arraché lui aussi à sa terre natale et à sa famille n’est pas très original ; mais l’essentiel de ce film n’est pas dans l’originalité. Car, après tout, le thème de "l’indien dans la ville" a déjà été fort usité. Ce qui est plus intéressant ici est cette relation du père avec le fils qu’il n’a jamais eu et ce transfert d’énergie, de vitalité, que l’enfant insuffle à Tivii, mais que celui-ci échoue à lui rendre. Cela est bien mis en évidence tout au long du film : la fierté de Tivii, racontant ses histoires de chasseur ou fabriquant des statuettes en bois, ne touche que très superficiellement le jeune garçon qui préfère son émission de radio ou son avion en plastique. Finalement Tivii n’aura appris qu’à survivre parmi les blancs, mais n’aura pas compris ce qu’il leur faut pour vivre.